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Le livre d'André Lemaitre : "Un peintre vous parle"

photo d'André Lemaitre
André Lemaitre à la fin de sa vie.

C'est en 1986, qu'André Lemaitre a écrit son fameux livre "Un peintre vous parle". L'édition est épuisée depuis longtemps. Pour répondre aux nombreuses demandes, nous éditons ici le meilleur de ses pages.

"J'ai voulu que ce livre soit un document sérieux où l'essentiel sera dit : Les reproductions pourront donner une idée d'une oeuvre touffue et abondante dont on s'est toujours plu à reconnaître l'unité, malgré quelques changements techniques dus à l'âge et au savoir."

La jeunesse : une quiétude fébrile

"Je puis affirmer que depuis l'enfance, j'ai eu la passion du dessin, une vocation totale et précoce. J'étais un garçon bagarreur avec le goût du commandement. Je faisais la guerre, à condition d'être le chef.
Cela ne m'empêchait pas de dessiner dans les marges des livres de prix de ma mère, des têtes de Prussiens coiffés du casque à pointe. Je dois à la vérité de dire que je n'ai jamais fait de dessins d'enfant... Mes bonhommes ont toujours ressemblé à des vrais. En 1916, j'avais 7 ans, et je voyais passer devant la porte de notre maison à Falaise, des convois de prisonniers allemands conduits par des "territoriaux" et mon père venait d'être tué à Verdun!!!
(Lemaitre a toujours été très affecté et discret sur cette période.)
A l'école primaire de Falaise, mes maîtres collectionnaient déjà mes dessins. Nous vivions dans un univers qui, à part le chemin de fer, était celui du XIXème siècle. Les classes de la société étaient tranchées et personne ne transgressait les limites de sa catégorie sociale : les riches, les bourgeois, les petits commerçants, les artisans, les ouvriers et les autres : les vrais pauvres et il y en avait. J'ai vu des enfants jouer pieds nus car il fallait garder les souliers pour aller à l'école.
Un peu plus tard, ma mère décida de faire de moi un enseignant. Je venais de passer le concours des bourses et j'étais pupille de la Nation. A l'Ecole Normale de Caen, j'ai pu donner libre cours à ma passion pour le dessin : j'avais même à l'époque des commandes de portraits. J'avais une boîte à couleurs et une salle de dessin pour moi tout seul, le professeur de dessin, me paraissait assez peu capable de me donner des conseils, car ce que j'avais vu de sa peinture me donnait peu confiance en la matière.
J'ai eu la chance de faire quelques bonnes rencontres, en particulier le peintre Laurent Gsell, dont le frère était un ami de Rodin. Il m'a beaucoup appris.
Au Prytanée militaire, j'ai beaucoup dessiné et puis j'ai retrouvé la vie civile et un poste d'enseignant à Billy dans la plaine de Caen : un village de 200 âmes."

Lemaitre dans son atelier
Lemaitre dans son atelier

"J'arrivais là avec l'idée de repartir, mais dès la première promenade, je découvris un paradis : la nature dans toute sa gloire, dans toute sa force, dans toute sa poésie, j'y restai longtemps.
Je me suis marié : une vraie famille avec des enfants et j'ai trouvé l'équilibre.
Mon travail de maître d'école me mobilisait beaucoup. Le reste du temps était consacré à la peinture : je n'ai pas passé un seul jour, un seul soir sans peindre ou dessiner.
Je peignais en clignant des yeux et me créais un métier qui devint vite mon bien personnel et qui, s'il devait un peu à l'impressionnisme, ne fut jamais le fruit d'une technique dérobée.
On commençait à regarder mes travaux, j'avançais dans le milieu artistique un peu en marginal, mais d'emblée, je fus reconnu par la critique, on parlait de moi dans les journaux, j'étais, disait-on "un nouveau talent". Je traçais un sillon original."

En passant par Cézanne et Vlaminck

"Je lisais beaucoup et me ruinais en revues d'art qui même modestes, ne contribuaient pas moins à ma culture.
Je connaissais tout sur les peintres et la peinture.
Lorsqu'en 1936, j'ai vu à Paris la grande rétrospective Cézanne, j'eus la révélation de ce que pouvait être la grande peinture; Mes idées d'alors s'en trouvèrent bouleversées par une conception toute nouvelle : une construction rigoureuse dans un souci constant d'harmonies fortes et rares.
Après bien des années, j'en fais encore mon credo.
On a tout écrit sur Cézanne et bien peu l'ont compris.
J'ai depuis renié un peu ce grand novateur pour me tourner vers des formules plus traditionnelles, parfois plus novatrices et même plus personnelles ; mais cela s'est fait au fil des ans alors que je devenais "savant" dans la compréhension des problèmes de l'art.

Après une période euphorique et suave où je n'avais rien comris, la guerre 1939-1945 avec ses ruines, ses deuils et ses misères me fit remettre en question. En plus, je venais de découvrir Vlaminck qui par son côté paysan, nordique et brutal me fit prendre mes distances avec un Impressionnisme et un Cézannisme qui me semblèrent dépassés.
Cette peinture violente, noiraude, à l'emporte-pièce, zébrée d'éclairs, me combla par ses excès. Je peignis alors avec des bleus durs, des ocres, des marron et des rouges que je n'avais jamais employés jusque-là.
De plus la pénurie de toiles remplacées par des panneaux me fit adopter une peinture émaillée et lisse et je puis dire que cette période m'a permis de peindre une partie de mes meilleures toiles."

André Lemaitre a déjà la cote, il est sur des murs de grands collectionneurs à Paris aux côtés de Vlaminck, Derain, Corot, Millet.
Ses marchands lui conseillent alors de se consacrer entièrement à la peinture.
Après une longue réflexion, il démissionne de son poste d'instituteur, il achète une maison ancienne deux fois centenaire à Cesny-aux-Vignes et y installe un superbe atelier.
Il va y vivre et peindre pendant près de 40 ans dans la méditation et la sérénité.

Lemaitre et sa fille en vacances en Bretagne
Lemaitre et sa fille en vacances en Bretagne

"En ce qui me concerne, et j'en suis surpris, la critique m'a toujours été favorable. Malgré mes airs bourrus, "le solitaire de Billy" a toujours excité la curiosité. Je donnais l'impression d'avancer et d'apporter autre chose que ce qui se faisait en Normandie dans un moment où un nouvel art de vivre s'installait dans la société renouvelée. Dès les années 1950, de nombreux journalistes ont écrit des chroniques chaleureuses sur cette peinture "rurale et fruste" qui les changeait du sucre et du nougat.
A l'époque Yvonne Guégan était aussi à l'honneur..."

La nature morte

"On m'a souvent demandé pourquoi je peins tant de natures mortes ?
La réponse la plus simple, c'est la conséquence de mon caractère : la paresse et une certaine timidité.
Peindre à l'extérieur et ne pas s'arrêter devant n'importe quoi, c'est difficile et compliqué. J'aime mes aises et je suis maniaque.
A l'atelier, c'est plus facile, je peins la même table et les mêmes objets depuis l'éternité. Le problème qui se pose à moi, n'est pas la reproduction de ces objets, mais le problème plastique que je vais résoudre.
Il y a aussi la marche de la lumière.
Je suis plus sensible à la manière dont c'est fait, qu'au fait lui-même. C'est la raison probable de ce que ma peinture ne plaît guère au public, mais elle intéresse les peintres, les professionnels.
La nature morte nécessite une interrogation perpétuelle des valeurs et ne permet pas de transiger sur les choix.
Les plans, les valeurs fortes, leurs intermédiaires et surtout la juste place de la couleur majeure sont à considérer. Pas de blancs, pas de noirs, une gradation subtile de tons intermédiaires...
La nature morte, dans l'absolu, est la manifestation la plus complète de la peinture-peinture."

Les paysages

Le poirier dans le pré 1980
Le poirier dans le pré 1980
73x60cm

"J'ai peint très tôt des paysages, sans m'arrêter au côté pittoresque du sujet.
Un jour à Deauville dans les années cinquante, le patron des casinos, Mr André, me dit : "Vous peignez de bien vilains paysages, mais vous y exprimez ce que les autres ne voient pas !" Quel beau compliment!
Souvent des gens bien intentionnés m'informaient qu'ils avaient découvert pour moi un paysage exceptionnel...
Après l'avoir vu, je leur disais : "Merci, mais ne vous vexez pas, ce n'est pas là ce que je cherche."
De même pour les saisons, j'ai souvent choisi celle qui dépouille le plus le paysage de ses attraits faciles pour ne garder que l'aspect construit, sévère et rude à la fois : l'hiver bien sûr..."

Le paysan à la fourche
Le paysan à la fourche

Un vrai peintre doit apporter quelque chose de plus

Continuons de prendre dans son livre le meilleur de ses réflexions sur la peinture.

"J'assumai donc mon métier de peintre avec délices et je m'abreuvai aussi de lectures.
Je m'étais créé une sorte de musée imaginaire par le texte et par l'image qui me servait de guide.
Or, un jour, je voulus me rendre compte en allant voir des oeuvres de "Maitres" et je me régalais par avance sans les avoir vues.
Quelle surprise ! quelle déception !
Ma première visite au Musée d'Art Moderne qui venait d'être réorganisé, me procura unes de plus grandes déconvenues de ma vie.
Quoi! Un tel que je prenais pour un grand peintre, c'est cela ?
Et je me suis dit trop souvent cela devant les originaux. Etait-ce dû aux mauvais choix ?
Les Conservateurs devraient faire très attention lorsqu'ils retiennent les oeuvres de l'avenir.
J'avais un oeil frais et sans parti pris d'aucune sorte dans un jeu de quilles dont je tenais la boule.
Que de massacres j'aurais pu faire !
Depuis ce temps lointain, je me suis toujours méfié de ceux qui font qu'un peintre soit choisi ou repoussé.
De même, je voyais certains sourires qui me mettaient hors de moi de "soi-disant amateurs" qui prétendaient connaître la peinture !
On pourrait croire que je me méfie de ceux qui n'apprécient pas mon travail ! Pas du tout ! Je comprends très bien que certains n'apprécient pas ce que je fais.
En général, les gens aiment ce qui ressemble à leur vision banale de la nature.
Leur référence est celle de la photo qui restitue le spectacle qu'ils ont devant eux, sans rien changer de leur réalisme quotidien.
Les gens qui prétendent s'intéresser à la peinture se classent en 2 catégories, voire 3 :
- les amateurs de réalisme, d'hyper réalisme, voire de surréalisme pour le fini et la perfection du métier.
- les amateurs d'informel ou d'abstrait parce qu'ils croient faire preuve de modernisme. Ils se considèrent comme l'avant-garde de la modernité.
- et puis il y a les autres, une minorité, qui croient dans une 3ème catégorie, que je pourrais nommer celle de la vraie peinture où il est difficile de se distinguer parce que : c'est cela, pas assez cela, ou encore trop cela.
Mais d'abord, qu'est-ce qu'un grand peintre ? Terme galvaudé, employé n'importe comment et trop souvent pour n'importe qui.
Je crois pouvoir dire qu'un grand peintre doit être d'abord un peintre de talent, un peintre sachant peindre.
Pour être grand, il est nécessaire d'apporter quelque chose de plus.
Un grand peintre crée un monde qui lui est propre et qui de toute manière reste un maillon de la chaîne."

Au jardin
Au jardin 89x116cm

Les figures

"J'ai toujours pensé et je le pense toujours que l'aboutissement d'un talent est la figure.
La figure est bien la chose la plus difficile qui soit. J'ai peint beaucoup de figures et de nus mais je n'ai jamais cédé à la facilité.
J'ai peint aussi de grandes compositions. Très jeune, je rêvais d'être un peintre militaire, un peintre de batailles. J'ai toujoours eu un côté cocardier et un goût certain pour l'histoire. J'ai rendu hommage à Goya, à Géricault, à Courbet, à Manet et à d'autres...
Les "grands" me donnent envie de m'agenouiller devant eux. Même les grands peintres contemporains n'ont pas usurpé la place qu'ils occupent. Il est certain que Picasso, Braque, Matisse, Derain et autres sont des artistes majeurs.
Beaucoup d'autres hélas n'ont été que des démarqueurs, des faiseurs de grimaces dont on se lasse, et dont les galipettes ne font plus rire. Mais hélas, le public aime le facile, le sucré.
C'est difficile d'être un grand peintre, il y a une foule de bons artistes qui méritent considération et respect.
Je connais beaucoup d'artistes de talent qui sont resté inconnus alors que d'autres, pas meilleurs et même moins bons, ont acquis la notoriété.
Pour réussir en Art, il faut du talent, de la patience et de la chance..."

Le livre d'André Lemaitre comptait 120 pages, nous l'avons réduit à 10 pages.

La pianiste
La pianiste 116x89cm
Les masques
Les masques 92x73cm
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ FIN ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~